A perpétuité [SOLO]

A perpétuité - Partie II
Jour inconnu: Emeute silencieuse

Elle traînait souvent ici, Mia, à ses heures perdues. Autant dire que c’était comme sa maison. Son seul vrai petit nid, pas très douillet, pas toujours très agréable ni rassurant, mais avec ses charmes, aussi.
La rue.

Depuis le temps qu’elle y était, à la rue, elle aurait pu au moins songer à se trouver un appart’, dans cette grande ville, dirait-on. D’autant qu’elle saurait se débrouiller pour régler les petits problèmes matériels que cela poserait sans trop se fouler, et qu’elle était plutôt douée, en général, pour trouver ce dont elle avait besoin. En particulier un toit à se mettre sur la tête, aimant la ville comme lieu de vie, pas de repos.
Et pourtant…
On la voyait toujours, aux dernières heures de la nuit, en général, longer les trottoirs, dissimilée dans l’ombre. Cherchant parmi ses connaissances et ses souvenirs un visage, une porte qui lui serait ouverte. Parfois trouvant, parfois échouant.

Dans ses cas-là, pas de seconde chance. Mia n’est pas de ceux qui acceptent l’échec, reculant dès qu’il pointait à l’horizon. Elle se rabattait donc vers les solutions de facilité : les inconnus ou les déserts. Se glissait par une fenêtre forcée, embobinait le premier venu pour qu’il l’accueille chez lui. Et au lendemain, elle détalait, éventuellement en se servant parmi les biens du bon samaritain. Sans états d’âme.

La rue, donc, comme lieu de vie privilégié.
Mais pas préféré, non. En fait, elle y était plutôt indifférente. La qualité d’un lieu dépendait surtout de la personne avec qui elle était. Dehors, c’était la solution par défaut, où il était difficile de rester seul, mais où l’on n’était pas harcelé par la foule. Juste par sa présence, légère pression qu’elle appréciait, recherchait.
En revanche, elle avait des lieux de prédilection, des rues qu’elle courrait plus volontiers que d’autres. Qui entouraient en fait les endroits même où elle avait à faire…

Parce que ses heures de désoeuvrement, nombreuses, étaient quand même pavées de quelques occupations. Pas des obligations, non, puisqu’elle n’en laissait aucune peser sur ses épaules, mais une liste de choses à faire, quand elle s’ennuyait de trop.
Par exemple, ici, au-delà de la porte qu’elle franchissait : cybercafé. Opération Syn.

« Syn », c’était le nom qu’elle s’était donné derrière son écran, s’amusant tour à tour à explorer la toile –Togenkyo disposant d’un Internet, coupé de l’Extérieur cependant- ou bien à s’exercer à l’usage de quelques techniques improbables…

Il y a quelques temps déjà, avant qu’elle ne prenne l’habitude de venir dans cette salle, elle était tombée, au fil de ses promenades virtuelles, sur un groupe d’abrutis assez sympas qui se retrouvaient apparemment assez souvent pour déballer leurs imbécillités respectives sur un chat. Au début silencieuse, simple lectrice médusée, Mia se fit à un moment interpeller par l’un d’eux.

Sans plus se souvenir de la conversation, elle a en revanche en mémoire, mot pour mot, les paroles écrites qui en marquèrent la fin :

« S’il y a quelque chose que tu veux briser…
On est des spécialistes de ça~ »

Briser…
Ah, oui.

Elle se souvenait vaguement avoir pensé ce mot, de toutes ses forces, le jour de son arrivée. Lorsqu’elle avait pu entrevoir, entre deux bâtisses, le haut du Mur qui l’enfermait dans ses rues, et l’avait confondu avec les barreaux de sa cellule de prison. Elle n’avait pas vraiment prêté attention à la durée de sa peine, au tribunal mais, quelle qu’elle soit, elle savait déjà qu’elle ne s’y tiendrait pas, avec cette muraille autour d’elle. Il faudrait qu’elle sorte, obligatoirement.

Sans prendre en compte le fait qu’elle n’était pas en prison, mais qu’elle y avait plutôt échappé, elle n’avait eu de cesse depuis lors que de chercher un moyen de s’évader.
Puis, après quelques mois de recherches et de tentatives infructueuses, sa hargne s’était calmée… Avant de s’embraser à nouveau sous le coup de ces mots.

Coup de chance, ces inconnus sans visage, mais au discours si tentateur, ne pensaient pas bien différemment d’elle. Et ils avaient en main quelques moyens, non pas de sortir vraiment, mais au moins de se jouer de leurs geôliers.

Pirates. Rimant avec libres. Elle se savait pas exactement pourquoi ils faisaient ce qu’ils faisaient, mais qu’importe : elle, elle savait pourquoi elle les suivrait.

Justement, l’objectif du jour, lorsqu’elle mit les mains sur le clavier, c’était de mettre en pratique les « leçons » déjantées qu’ils lui avaient données. Son premier véritable coup, mené de bout en bout, juste couverte par l’un de ses mentors. Mission, simple : paralyser le réseau de la ville, un court instant. Et s’amuser aussi, un peu, but ultime.

Allumant le logiciel concocté pour l’occasion un sourire mauvais s’installa sur ses lèvres, sous le coup d’une sombre satisfaction, d’une fierté vengeresse. Ils la sentiraient se débattre dans cette cage, oui, jusqu’à ce qu’elle puisse en sortir un jour.
Le sourire ne la quitta pas jusqu’à la fin de l’opération, et quand elle en constata les premiers effets.
En sortant, le soir, il se changea en éclat de rire enfantin.
Elle venait de rajouter une corde à son arc, bandé, visant le Mur et ceux qui le maintenaient debout. Syn serait l’une de ses flèches.